Toune d'Automne
Est-ce juste la saison, ou sommes-nous toujours loin de chez nous ?
Tout ce que j'écris ici est un exercice destiné à m'aider à améliorer mon français. J'ai écrit ce texte il y a quelques semaines et hésité à le publier, pour plusieurs raisons. Je le partage néanmoins, dans un esprit de transparence. Même s'il est aussi imparfait que je le pense, il reste un témoignage de ce moment précis dans mon apprentissage du français et de mes perspectives sur le monde — deux choses qui évoluent chaque jour.
Bien que nous soyons au sud de la France, où le temps est encore assez agréable, je ressens le changement de saison. Il s’agit à la fois d’une légère mélancolie et d’une nostalgie qui reviennent avec l’automne, peu importe où je me trouve. Il est si familier que je constate que cette nostalgie annuelle est devenue celle de la mélancolie des automnes passés.
J’ai envie de réfléchir, de flâner, d’aller lentement — encore plus lentement qu’en été. Je suis attirée par toutes les choses tranquilles, cozy, et même un peu « spirituelles. » Pour améliorer mon accent et intonation, je pratique le shadowing (répétition) avec une artiste d’ASMR et une coach en développement personnel. Je commence à faire un peu de yoga. Je préfère le yin. Je ne cours pas. Tout doux, tout tranquille.
Cette année, la songerie portée par les vents saisonniers se nourrit de l'isolation relative que nous vivons en tant que touristes de longue durée. Nous aimerions nous connecter avec les communautés que nous visitons, nous faire des amis et apprendre à connaître nos voisins. Pourtant, en restant seulement quelques semaines dans chaque endroit, nous nous assurons de ne pas y parvenir. Après la ville vide de Grenoble en août (bien sûr, j’exagère ici, comme d’habitude), nous nous retrouvons dans un beau village touristique. Ici, où l’on entend plus souvent l’anglais, je me sens encore plus étrangère à cause de mon accent.
Au moins, ce sentiment me donne une faible excuse pour parler un peu des Cowboys Fringants. Leur Toune d’Automne, la chanson qui a inspiré le musicale Pub Royale grâce à sa capacité à « nous met le cœur en berne lorsque l’hiver approche», a tourné en boucle dans ma tête depuis le jour d’août où j’ai entièrement consacré mon temps à apprendre davantage sur le groupe. Finalement, elle est pertinente salon la saison.
Paroles avec une tentative de traduction en anglais. J’ai pris des libertés. Voici une autre traduction.
Comment ça va, ma p'tite sœur? How's it going, little sis' Viens que j'te serre dans mes bras Come here, let me hug you Pis, as-tu r'trouvé l'bonheur So, did you find happiness again Dans ton trip au Canada? On your trip to Canada? Dans l'bout' c't'année In the end, not much happened Il s'est pas passé grand chose around here this year C't'un peu morose It's a little glum J'espère au moins qu'c't'ait l'fun là-bas I hope you at least had fun over there Chu fier que tu m'aies pas ramené I'm glad (proud) you didn't bring back Un beau-frère de l'Alberta A brother-in-law from Alberta Ça m'aurait un peu ébranlé That would've rattled me a bit Jure-moi donc que c'fois-là Promise me this time tu restes à' maison* you'll stay home* Pour de bon For good Refrain: Chorus: Anyway, chu content que tu r'viennes Anyway, I'm happy you're back T'arrives en même temps qu'l'automne You're arriving with fall Tsé qu'ça m'a fait ben d'la peine You know, it really hurt me De t'voir partir, ma mignonne To see you go, kiddo Icitte y a papa qui se r'met. Here's dad recovering De sa p'tite opération From his little operation T'aurais dû l'voir, y feakait You should have seen him faking Fallait l'traiter aux p'tits oignons We had to walk on eggshells around him Et môman s'est inquiété toute l'année And mom was worried all year À cause de toé Thanks to you De mon bord, j'ai décidé For my part, I've decided D'arrêter de végéter To stop vegging J'rentre à l'université I'm going back to university On verra c'que ça va donner We'll see what comes of that Mais tu m'connais, But you know me, chu pas motivé plus qu'il faut I'm not that motivated C'est pas nouveau Nothing new there Refrain Chorus J'ai vu Simon le mois passé I saw Simon last month Ç'avait pas trop l'air de filer He didn't look so good Il m'a dit qu't'avais pas appelé He told me you hadn't called Depuis sa fête en février Since his birthday in February Si tu l'aimes pu, If you don't like him anymore, faudrait peut-être pas l'niaiser Maybe don't lead him on C't'un bon buddy He's a good dude Et puis toé, ma p'tite sœur Anyway, little 'sis Es-tu toujours aussi perdue? Are you still so lost? C'est-ti encore la grande noirceur? Still down in the dumps? Ou ben si t'as r'pris l'dessus? Or have you overcome it? Tsé qu'la vie est You know if life is parsemée de p'tites misères full of little miseries Faut pas t'en faire Can't let it get to you Refrain Chorus *cette ligne est parfois modifiée *this line is modified in some performances
J’ai aimé Les Cowboys Fringants dès que je les ai entendus dans les années 2000, même si je ne comprenais pas les paroles. Aujourd’hui, cette chanson en particulier évoque pour moi un mélange d’impressions aigres-douces au-delà d’une nostalgie pour Montréal. Je me retrouve un peu dans le caractère de la sœur ainsi que dans celui du frère. Tous les deux me ramènent à ma jeunesse où je me sentais toujours perdue, tout en me rappelant que ce sentiment ne disparaît jamais complètement. En même temps, cela souligne à quel point je suis loin de ma famille.
Les maux des pays ?
Finalement, cela suscite une sensation que je connais très bien bien que je n’aie pas de nom. Si vous pensez immédiatement au « mal du pays », je ne vous en voudrais pas, mais ce n’est pas tout à fait ça.
Il a quelque chose à voir avec l’image de la famille soudée et la fierté d’identité que désigne la chanson. Je suis émue par la scène, bien entendu, mais j’en décèle aussi un parfum de quelque chose qui doit évoquer des impressions spécifiques pour de nombreux auditeurs. Ayant grandi de l’autre côté du pays, parlant une autre langue, je n’arrive pas à les partager pleinement. (Par exemple, mon éducation, pas du tout froide, était néanmoins suffisamment WASP pour que je ne puisse même pas traduire « ma mignonne » dans les paroles par « my cutie. » Aucun homme dans mon cercle intime ne saluerait sa sœur de cette façon.)
Quand j’écoute Les Cowboys Fringants, je me souviens que la place que je considère comme mon pays maternel n’est pas qu’une seule nation. En plus des nombreuses Premières Nations, des Inuits et des Métis, notre idée du pays est le fruit de l’histoire de la Nouvelle-France et du Haut-Canada. Cet espace entre le Québec et le Canada anglais (ou, comme j’ai été enseignée à l’appeler : le ROC) représente les deux solitudes, bien connues. Originaire d’un roman publié en 1945 par Hugh MacLennan, l’expression «est utilisée pour illustrer le manque de communication et l’éloignement culturel entre les deux groupes linguistiques.»
Donc, si j’essaie de décrire davantage ce sentiment mystérieux que la chanson m’évoque, c’est un sens d’empathie avec une culture à laquelle je ne prétendrais jamais appartenir, une reconnaissance de la distance qui me sépare d’elle, et une envie de réduire cet écart. Et, pour être honnête, c'est la prise de conscience qu'il est peu probable que j’y parvienne. Les maux du pays, peut-être ?
Nous dans les solitudes
Quand le bien-aimé leader des Cowboys Fringants, Karl Tremblay, est décédé l’automne passé, cela a déclenché une immense vague de chagrin à travers le Québec. Il a également suscité un débat sur les réseaux sociaux. Certains ont souligné un manque de couverture médiatique anglophone, le décrivant comme une preuve que les deux solitudes persistent au Canada, tandis que d’autres insistaient sur le fait que cette affirmation était fausse.
Je ne serais pas la première à remarquer les similarités entre le dernier concert de Karl Tremblay avec Les Cowboys Fringants devant 90 000 personnes sur les Plaines d’Abraham et celui de The Tragically Hip dans leur ville natale, Kingston, diffusé en temps réel d’un océan à l’autre. Or, les comparaisons sont façonnées par des expériences personnelles. Selon Steve Lafleur, par exemple, presque aucun Canadien anglophone n’était au courant du décès de Karl Tremblay. Par contre, Nora Loreto a écrit du point de vue de ceux « avec un pied de chaque côté » du Québec et du ROC, signalant que le nom de Gord Downie était tendance sur Twitter après le décès de Tremblay, et ajoutant pour faire bonne mesure un autre parallèle avec la mort de John Mann, leader du groupe iconique du Canada occidental, Spirit of the West.
Pour moi, ces perspectives différentes soulignent que ce n'est pas qu'au cadre du collectif où existent les solitudes. Entre le chevauchement de la culture, des médias et du politique, il y a le personnel, où nous retrouverions éloignés de quelques autres.
Je pense à mon arrière-grand-mère, une orpheline catholique qui, ayant été emmenée au Canada par le programme British Home Children, a grandie avec une famille anglophone tandis que son frère a été placé avec une famille francophone. Selon la légende, lorsque ils se sont retrouvés des années plus tard, ils ne partageaient plus la même langue, ni la même religion.
Faites comme chez vous
Moi, comme j’ai dit, je peux me sentir solitaire quasiment n’importe où. Pire, j’imagine pathologiquement que les autres ressentent la même chose. C’était une des raisons pour lesquelles j’ai travaillé pendant une décennie sur un projet d’inclusion où nous avons beaucoup parlé des rues à double sens, des ponts… de l’infrastructure de connexion que nous construisons ensemble.
Or, on sait qu’une partie de la tâche de se sentir à l’aise — que ce soit dans un nouvel endroit ou dans un lieu qui change autour de vous — reste avec l’individuel. Il faut… Ici, je crois que l’anglais me sert mieux que le français; « faites comme chez vous » n’a pas le même sens que « make yourself at home », qui met plus d’emphase sur un changement de soi-même. Pour être chez vous, il faut vous changer. C’est-à-dire, vous connecter avec les communautés que vous visitez, vous faire des amis, et apprendre à connaître vos voisins — tout cela que je n’ai pas fait quand je suis restée à l’intérieur à écrire sur les deux solitudes au Canada depuis la France.
Ce n’est pas du tout la première fois que j’ai manqué une telle opportunité. J’ai habité pendant quatre ans à Montréal sans m’intégrer, pour mettre en lumière un seul exemple. Malgré ma croyance que l’acte de s’intégrer a des bénéfices puissants pour l’individu, la communauté, et le monde, je me suis trop souvent retenue, gardant un espace que j’ai considéré comme respectueux, et en faisant ainsi, je manque des opportunités de mieux connaître les autres.
Alors, je pars de très loin, mais je pars. Si les langues sont des outils qui ouvrent les portes des cultures et bâtissent des ponts entre les peuples, mon projet d’apprentissage du français est au moins un point de départ.